Tourisme

Voyage local

Pris dans la nasse d’un monde confiné, combien sommes-nous à vouloir redécouvrir notre environnement proche, nous reconnecter à la Nature, réapprendre le goût des choses simples ?

Le voyage auquel j’aimerais vous convier ne nécessite pas de boucler vos valises, encore moins de surfer pendant des heures sur le net pour trouver le bon hébergement et s’entendre dire, au final, “c’est nul, il n’y a même pas de piscine !”. Pas besoin de vous préparer physiquement pour le grand jour “tu as dit combien de mètres de dénivelé ?”, ni de tergiverser pendant des heures avec vos ados “mais ça sert à quoi d’aller marcher ?”. Inutile de vous faire suer dans les embouteillages aoûtiens ; de vous quereller avec le GPS ou votre conjoint, “je t’avais dit à droite mais pas cette droite !”. Vous ne finirez pas sur une plage les pieds dans la serviette du voisin. Ni au restaurant à poireauter après le serveur débordé, vous faussement décontractée, tentant de calmer l’agacement palpable qui s’invite à la table : “On n’est pas bien là ?!” Si, évidemment, c’est bien les vacances ! Mais réfléchissez. Qu’est ce qui est bien dans ce que je viens d’énumérer et qu’immanquablement vous avez éprouvé un jour ? Alors, si cette année, vous changiez de “braquet” ? Au lieu d’envisager de partir loin, vous pourriez expérimenter la proximité. Les vacances au pays. À vélo, à pied, sur place. Tranquillement chez vous. Cette formule présente l’avantage de vous éviter tout ce qui figure plus haut dans le texte. Elle allégera aussi considérablement votre bilan carbone. Votre facture en fin de mois. Votre charge mentale. Elle pourrait d’aventure se révéler bien plus exotique que vous ne l’imaginiez. Au fond tout est là pour celui qui sait regarder. N’est-ce pas une des leçons que nous a enseignée la Pandémie ?

Prêts à aller plus près ?

Les temps changent. Plus vite que nous le voudrions. Avec le Coronavirus, le monde s’est arrêté de tourner. Les avions sont restés au sol, les trains à quai, les restaurants, cinémas, spectacles ont fermé, les loisirs, la culture ont migré sur le net, le sport s’est tapi au salon, le travail installé à domicile. Les sorties ont joué du chronomètre, les distances à l’élastique.

Puisque nous étions condamnés à vivre dans un périmètre restreint, le Local est devenu un étendard, la Nature une destination. Les notions de slow-tourisme, d’éco-tourisme, de tourisme vert, de tourisme responsable rencontraient déjà un succès grandissant. La planète nous criait de ralentir. Le confinement a très fortement accéléré le phénomène en nous obligeant à repenser la notion même de voyage. Le monde a changé de superficie. Personne ne le souhaite. Mais personne n’est dupe, non plus. “Ce n’est plus la destination qui compte, c’est le voyage” L’hiver dernier, Sylvain Tesson sortait dans la collection Bouquins un recueil de 1400 pages de ses récits de voyages qui caracolait en tête des ventes avec 50 000 exemplaires vendus dès les premiers jours. De quoi nous convaincre que l’énergie vagabonde – titre de son recueil – est plus que jamais plébiscitée ! Mais pour s’évader nul besoin de courir le monde à grandes enjambées. Sylvain Tesson lui-même nous encourage à faire le contraire. En parcourant la France des chemins non balisés à pied, après un grave accident, l’auteur nous livrait déjà trois leçons, qui vont dans le sens de notre histoire.

Au lieu d’envisager de partir loin,
vous pourriez expérimenter la proximité

En ces temps incertains, écrivait-il, il est plus que nécessaire d’apprendre à “chouanner”, cela veut dire prendre la poudre d’escampette, disparaître, défendre le monde que l’on aime en se dissimulant… (En référence à Barbey d’Aurevilly, qui, en parlant des chouans et de leur façon de combattre dans les chemins creux, emploie le verbe “chouanner”). “Cette dissimulation est urgente nous car nous sommes rentrés dans une époque de surveillance généralisée et consentie”, poursuivait-il avant de conclure “Rien ne sert de courir le monde. Pour cela il suffit de se tenir sur ces chemins où on est autonome, libre, environné par la beauté des paysages et permet une forme d’accomplissement intérieur de la pensée, de l’équilibre, du sentiment d’être à la verticale de soi-même”.

Comme Sylvain Tesson, beaucoup d’entre nous voient aujourd’hui dans la proximité une destination. Un touriste héraultais sur cinq habite la région, et ceux qui bougent près de chez eux le font “pour se ressourcer à la campagne”, première destination des Occitans en nombre de nuitées, également appréciée par les jeunes aux petits budgets : “Ici, les cafés sont des lieux de convivialité et la randonnée, c’est gratuit !”.

Dans son discours d’orientation, Vincent Garel, président du Comité Régional du Tourisme le confirmait : “Il faut battre en brèche l’idée que l’attractivité touristique d’un territoire se mesure au nombre de kilomètres parcourus”. Alors prêts à voyager sur place ?

A l’école de la vie

En guise d’introduction à ce voyage statique me revient un souvenir que j’aimerais partager avec vous, celui d’une randonnée dans le Vercors. J’étais partie seule, dans l’intention de passer quelques jours au vert et cette journée de juillet s’annonçait particulièrement chaude. J’avais pris du retard au réveil, fait et refait mon sac, hésité à en porter plus ou moins.

Midi pointait son nez en plein cagnard dans une pente plutôt raide, et je guettais à travers les rayons du soleil, le replat, le col, le moment où je pourrais enfin me poser. Et là, au détour du sentier, m’apparurent trois personnes, assises en lotus au bord de la falaise, sous la ramure impressionnante d’un vieil arbre dont j’aurais dû retenir le nom, mais citadine à l’époque, je regardais la nature, l’arbre, ces gens, sans même les voir, les saluant rapidement au passage, pour accélérer le pas, “on n’est pas là pour s’amuser”, et continuais mon ascension. Je mis 30 minutes d’efforts supplémentaires à me rendre compte que l’image de ces trois individus était restée accrochée à la visière de ma casquette, et que je ruminais l’envie de revenir sur mes pas, pour me poser à leurs côtés. Ce que je fis. En arrivant à leur hauteur, j’eus la surprise d’entendre l’homme le plus âgé m’inviter à m’assoir en disant :

-“Nous vous attendions !”
Je ne vous raconte pas la suite, ce serait trop long, mais ma rencontre avec ces trois moines guérisseurs, un maître et deux disciples, de retour du Tibet, a été l’un de mes plus beaux voyages initiatiques. En les quittant quelques jours plus tard, j’ai demandé au maître :
– “Et si je n’étais pas revenue ?”
Il m’a répondu :
– “C’est que tu n’aurais pas été prête.”

Rêvons un peu  

Imaginez une ville comme Lodève dont tous les habitants (qui le souhaiteraient) deviendraient les ambassadeurs. Papi s’improviserait guide pour raconter le temps d’avant, pendant que son petit-fils nous entraînerait dans le monde d’après, en faisant découvrir les rives de la Soulondre, pour parler de biodiversité locale.

Les créateurs, bijoutiers, céramistes, ébénistes, couturiers, couteliers organiseraient des ateliers-découverte de leurs univers, les producteurs locaux des circuits-dégustation de leurs produits. On déambulerait dans le centre historique sur les pas d’un passionné d’histoire, de botanique ou de géologie. Au bistrot, on viendrait s’attabler avec les gens du coin, et on se rendrait compte qu’ils sont comme nous, qu’il arrivent de partout, mais qu’eux ne sont pas repartis. Si tout cela existait, aurions-nous le réflexe d’aller courir au bout du monde ? Peut être moins. Bien sûr, nous n’y sommes pas encore. Les premières impressions qu’ont les “De passage”, appelons-les comme ça, de Lodève ne sont en général pas celles-ci. Qu’ils arrivent à pied par le Chemin de Saint Jacques ou en voiture par l’autoroute, ils ne manquent jamais de s’interroger devant les boutiques fermées, les façades fanées, les friches industrielles, nombreuses, comme figées dans un temps révolu.

Sur les bancs, des papis, et un peu partout des traces de jeunes désœuvrés. Alentours, les poubelles dégueulent. Les “De passage” ne savent pas où garer leurs voitures, hésitent à prendre la rue, trop étroite. Question visites, ils s’en tiennent à la Cathédrale, remarquable, et le Musée, s’ils ont le temps, et puis s’en vont gonfler les effectifs des sites touristiques alentours, le lac du Salagou, qui affiche 330 000 visiteurs/an ou le cirque de Navacelles, plus de 250 000 visiteurs/an. 

L’essence du voyage repose sur la rencontre de l’autre. Pourtant, sous ses jupes, la belle endormie comme beaucoup surnomment Lodève, cache des trésors de gens bien, si bien que lorsqu’on les a croisés, on ne voit plus la ville avec les mêmes yeux. Elle se met à briller de mille voix. Elle pourrait même devenir une destination de voyage extraordinaire. Qu’ils soient botanistes, historiens, géologues, paysagistes, artistes ou simples habitants heureux de vivre là, ils nous racontent une autre réalité que celle qui s’observe du dehors. J’ai pris la liberté d’en convoquer quelques-uns dans ce papier, pour vous inciter à rester encore un petit peu. Il fait beau, le monde alentour peut attendre. Asseyez-vous, regardez, voyagez sans bouger.

La belle endormie, comme beaucoup surnomment lodève,
cache des trésors de gens bien, si bien que lorsqu’on les a croisés,
on ne voit plus la ville avec les mêmes yeux

Lodève à travers ses arbres 

Commençons par Philippe Martin. Si son nom ne vous dit rien, tapez-le sur internet, avec les mentions, photographe, écologue, botaniste, biologiste et vous verrez apparaître un drôle de bonhomme, volubile et passionné, s’employant depuis pas mal d’années maintenant à transmettre aux enfants, aux adultes ainsi qu’à ses étudiants des envies de nature, et quelques notions de ce qu’il faudrait faire pour la préserver. “Parfois ça réussit, raconte Philippe, quelqu’un vint me voir à la fin d’une conférence et me dit : vous étiez venu faire une intervention dans ma classe de maternelle qui a changé ma vie, grâce à vous je suis devenu biologiste”. Alors là pour Philippe, consécration, piste aux étoiles. “Mais le plus souvent, je recroise des élèves que j’ai eus, lors d’une visite guidée par exemple, et ils pointent du doigt un brin de romarin en me demandant ce que c’est”.

Avec quelques acolytes que nous mentionnerons plus loin, Philippe s’est mis à recenser les Arbres, pas n’importe quels arbres, non les arbres remarquables du territoire, et lorsqu’on interroge ces Arbres, notamment un palmier brésilien, magnifique, situé dans le Parc de la Clinique du Souffle, c’est une tout autre ville qui apparaît. Celle d’Henry Marie Joseph VALLOT, né ici même en 1854, fils d’une famille fortunée. Passionné de Sciences, Joseph Vallot devient botaniste, astronome, géographe, naturaliste. Il est aussi un alpiniste renommé de son époque. Fasciné par le plus haut sommet de France, il effectuera 34 fois l’ascension du Mont Blanc. Il y installe même en 1890, le premier observatoire d’altitude perché à 4 365 m. Pour monter à dos d’hommes le matériel nécessaire à la construction de ce refuge, il faudra 110 guides et porteurs.

Pendant ce temps, à Lodève, dans sa propriété (aujourd’hui la clinique du Souffle), il tente d’établir un autre record. C’est l’époque de la French Riviera, des jardins d’acclimatation naissent un peu partout. Posséder sa collection d’arbres et de plantes exotiques représente le nec plus ultra pour les grandes familles bourgeoises. Vallot importe du monde entier des milliers d’espèces dont Lodève conserve encore aujourd’hui la trace.

Si le sujet vous intéresse, Philippe Martin travaille actuellement au recensement des Arbres remarquables de la ville (et du territoire). Avec Paysarbre, l’association créée par Tangi Gourmelon, dont nous parlerons une prochaine fois, et que vous pouvez rencontrer au Clap, un lieu culturel alternatif et foisonnant (ré)ouvert au public. Pour parler des arbres remarquables, il y a aussi Bertrand Rétif, paysagiste et coordinateur de l’opération et Bernard Cône, architecte et personnalité incontournable de Lodève que vous pouvez tenter d’approcher à la Distillerie – autre tiers-lieu à visiter, situé en centre-ville. Ensemble, ils se sont lancés dans un inventaire participatif des arbres remarquables “pour mieux les connaître et mieux préserver le patrimoine vivant et culturel”. Une fois réalisé et exploité, il fera l’objet de balades, rencontres, conférences.

Sur le divan

Bien sûr, quelques arbres, si magnifiques soient-ils, dissimulés ici et là ne suffiront pas à rendre à Lodève sa gloire passée. La ville a conscience de ne plus ressembler à celle qu’elle fut autrefois, et en a un peu marre qu’on le lui rappelle sans cesse. Alors pour rompre avec sa réputation de belle endormie, elle s’est faite psychanalyser récemment par l’ANPU, l’Agence Nationale de Psychanalyse urbaine, dont le métier consiste à détecter les névroses urbaines et proposer des solutions thérapeutiques adéquates. L’ANPU a psychanalysé 150 territoires : des gens sérieux, qui savent aussi ne pas se prendre au sérieux. Leur verdict, rendu sous la forme d’un spectacle joué en ville les 5 et 6 juin derniers, s’est révélé drôle, tendre, corrosif et parfaitement documenté. D’après les témoignages de ses habitants, si Lodève était un fruit “il aurait un pépin parce qu’ici, il y a toujours un pépin”. Un plat ? “une salade sans vinaigrette : ça se mange mais il faut s’accrocher !”. Un animal ? “L’âne, têtu, à l’écart, mais qui n’hésite pas à donner de la voix”. Leur portrait de Lodève sera prochainement disponible sous la forme d’une balade sonore. Vous y apprendrez à distinguer les Arts et comiques, peuple rigolard, des Techno-sages, moins enclins à faire la fête, qui composent en majorité la ville. Je suggère que l’ANPU mette à disposition des visiteurs un petit lexique permettant de communiquer avec les deux espèces. A partir de là, bonne visite ! Et n’hésitez pas à nous rencontrer.

Nadya Charvet

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