Nature

Le retour des boutures

L’histoire d’Ecosud donne envie de se projeter dans quelques décennies pour imaginer un monde où Fabien Hanaï, jeune patron visionnaire, Arnaud Million son directeur technique, deux semeurs d’espoir qui œuvrent à la transition écologique, auraient gagné la partie. Qui sait ? Leur projet de relocaliser la production de végétaux pour sauver la biodiversité d’un désastre annoncé pourrait figurer dans le recueil de contes et légendes du monde d’avant que nous aurions plaisir à lire à nos petits-enfants pour qu’ils se souviennent que 30/40 ans plus tôt, au moment où la planète, la faune, la flore et nous-mêmes courrions à notre perte, des gens ordinaires avaient su baliser le chemin vers le monde d’après. 

« Oui, raconte-nous encore l’histoire du jour où les arbres se sont remis à parler occitan ! », diraient les enfants qui adorent les héros ordinaires qui font des choses extraordinaires.

« Eh bien cette histoire a commencé l’année de la Covid et du confinement. Imaginez les enfants, toute l’humanité arrêtée en même temps comme un seul homme, c’était une occasion en or pour la Nature de se dégourdir un peu les jambes. Après cet épisode, même les gens qui avaient oublié ce qu’était la Nature se sont mis à la redécouvrir. C’est à ce moment que leur projet s’est mis à les intéresser ». 

Fabien, l’homme qui veut sauver la biodiversité, comme Arnaud, qui l’a rejoint dans l’aventure, ne m’en voudront pas de magnifier ce récit voire d’y mettre une touche de fantastique. Gageons qu’au même titre que Greta Thunberg, la jeune militante écologiste suédoise engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique, ils seront des exemples pour les générations futures. Sans avoir l’aura d’une Greta, vouloir réapprendre l’occitan aux arbres, n’est-ce-pas déjà extraordinaire ? 

Dans la réalité, leurs arbres ne parlent pas. Ils ne pourraient pas vu leur taille. Ce ne sont que de minuscules boutures prélevées dans des espaces naturels protégés, destinées à être élevées en serre puis replantées sur le même territoire.Vous ne voyez rien d’héroïque à cela ? Sauf si je vous dis que le marché des végétaux s’est mondialisé et qu’on ne vend pratiquement plus dans l’Hérault que des plants made in Portugal ou Italie. 

Retour vers le local 

A ce moment de l’histoire, Fabien entrerait en scène, par la petite porte parce qu’en 2020 il n’est encore que le jeune patron d’une start-up qui a raflé toutes les aides publiques accordées aux projets innovants et levé 400 000 euros supplémentaires pour déployer son projet sur tout l’Arc méditerranéen.
Sa société Ecosud vient d’installer à Lodève son deuxième site de production en France. Le premier est situé à Loriol-du-Comtat, près de Carpentras, dans le Vaucluse. C’est le tout début de son aventure. 

A ce moment de l’histoire, Fabien entrerait en scène, par la petite porte parce qu’en 2020 il n’est encore que le jeune patron d’une start-up qui a raflé toutes les aides publiques accordées aux projets innovants et levé 400 000 euros supplémentaires pour déployer son projet sur tout l’Arc méditerranéen.
Sa société Ecosud vient d’installer à Lodève son deuxième site de production en France. Le premier est situé à Loriol-du-Comtat, près de Carpentras, dans le Vaucluse. C’est le tout début de son aventure. 

Quatre ans auparavant, Fabien travaille encore dans le milieu de l’horticulture. Et partout où il passe, il entend le même discours. Responsables d’espaces verts, agriculteurs, associations de défense de l’environnement, pépiniéristes indépendants se plaignent des effets désastreux de la mondialisation sur la biodiversité. Les raisons de ce désastre écologique ne sont pas seulement imputables au changement climatique.

Depuis des années, l’importation massive de plants sélectionnés pour leur rapidité de croissance, leur coût, leur esthétisme a produit des dégâts considérables. Ces clones ne sont au mieux pas adaptés à nos écosystèmes au pire nuisibles. Beaucoup meurent, sont trop exigeants en eau ou trop pauvres en pollen, invasifs et/ou porteurs de maladies mortelles. Les grandes épidémies comme le Xylella fastidiosa, une bactérie mortelle pour 200 espèces végétales, ont été introduites par ces brassages de populations végétales.

 l’importation massive de plants a produit des dégâts considérables

Des végétaux venus d’ailleurs

Cette aberration interpelle Fabien. Pendant quatre ans, il va beaucoup bosser, étudier, travailler avec des botanistes, scientifiques, labos partenaires, utilisateurs finaux afin de créer sa marque, Cérès, en capacité de fournir aux collectivités locales des végétaux 100% locaux-compatibles c’est à dire prélevés, élevés à moins de 50 km de là où ils seront utilisés. « Cérès, ont dit à Fabien les communicants de l’accélérateur de start-up où Ecosud est en couveuse, c’est la déesse de l’agriculture. Une valeur sûre ». 

Son idée de relocaliser la production de végétaux n’est pas inédite. Au même moment, des scientifiques connus comme le botaniste Francis Hallé, spécialiste des plantes tropicales, lancent le projet de faire renaître en Europe de l’Ouest une forêt primaire, qui grandirait sans aucune gestion humaine. Cependant Fabien est un des premiers à imaginer le moyen de le faire sur une grande échelle, grande comme son enthousiasme communicatif. Un an après sa mise en route, son projet a déjà séduit l’Hérault, le Vaucluse, le Gard, une partie des Pyrénées, l’Ardèche, la Lozère qui lui ont alloué 70 sites de prélèvement dans des espaces naturels protégés où il travaille, précise-t-il, sans impacter le milieu naturel. Quatre années de recherche lui ont permis de mettre au point une méthode pour prélever « mieux et le moins possible ». 

Prélever mieux et le moins possible 

C’est sur un de leur site de prélèvement que je les rencontre en octobre 2020. Fabien et Arnaud m’ont envoyé en guise d’invitation des coordonnées GPS. L’appli m’indique 45 min de route jusqu’au barrage des Olivettes. Après le lac du Salagou, la forêt se densifie. Comme prise en étau, la route devient plus sinueuse laissant la végétation s’expanser. Nous sommes sur les terres du département de l’Hérault, un des premiers à s’être engagé pour le projet Cérès. 

Passés quelques virages, je perds ma trace GPS mais finis par repérer en bord de route, leur drôle d’équipage. Sur une bâche, ils ont installé leur campement d’un jour. Le soleil est de retour après quelques jours de pluie. Assis sur des tabourets de camping, ils effeuillent des boutures de Buplèvres ligneux, ces belles fleurs jaunes, qu’ils imbibent d’alcool puis enrubannent dans du coton, avant de les ranger à la queue leu leu et de les emporter dans une glacière. A l’image du Petit Poucet, ils sont occupés à prélever, à défaut de semer, de jeunes plants qu’ils destineront à maturité au marché local. 

Tout à ce travail d’orfèvre, Arnaud m’explique l’intérêt de prélever en milieu naturel protégé où les végétaux ont derrière eux des décennies de sélection naturelle. « Ces plants-ci parfaitement adaptés à leur milieu favoriseront la fructification, la pollinisation, une meilleure symbiose dans les sols, entre champignons et bactéries, une meilleure résistance phytosociale. Quand on plante du végétal local, on participe à la recréation de l’écosystème ».

Sur la route, je n’ai croisé que des chasseurs. Arnaud et Fabien sont les seuls cueilleurs des environs et ils sont conscients de leur singularité. Peut-être que dans quelques années, les cueilleurs seront plus nombreux que les chasseurs et qu’ils auront contribué à les sensibiliser et les former. Fabien y croit. En attendant, même seuls, passer la moitié de leur temps au milieu des arbres n’est pas pour leur déplaire. Ce matin, si la récolte est bonne, ils espèrent repartir avec 200 à 300 boutures qui seront élevées en serre à Lodève puis, au bout d’une année de maturation en serre, revendues sur le marché local dans un rayon de 50 à 100 km. 

L’aventure lodévoise 

Sur leur nouveau site situé derrière la Déchetterie, une pancarte indique encore Serres lodévoises. Les serres en question ont été dévastées par la grande crue de 2015 dont l’empreinte imprègne encore le décor, vitres cassées, parcelles de terrain retournées à l’état de friche. Plusieurs producteurs occupent déjà les lieux, certains font des plantes d’intérieur, d’autres des aromatiques. 

Ici, ils ambitionnent de cultiver 200 000 à 300 000 plants de variétés locales
« Chaque plant possède un code unique permettant de retracer sa provenance et son itinéraire entre le prélèvement et la commercialisation. Une fois à maturité, ils alimenteront le marché local en Frênes, Cornouillers sanguins, Lauriers tin, Érables de Montpellier, Cistes blancs, des variétés qu’on trouve à 50 km à la ronde », m’explique Arnaud qui me fait la visite ce matin. 

Lodève a tout de suite adhéré au projet et même mis à disposition un site de prélèvement. Tout comme Pégairolles-de-l’Escalette. « Il nous arrive aussi de conventionner avec des communes, pour pouvoir affiner encore nos sélections. Entre Lodève et Pégairolles-de-l’Escalette, deux communes pourtant distantes de quelques kilomètres, les variétés ne sont pas les mêmes, l’influence du Larzac se fait plus sentir là-haut, celle de la Méditerranée à Lodève ».  

Quand on plante du végétal local,
on participe à la recréation de l’écosystème

Un marché exponentiel

Tous les jeunes plants repiqués ce matin ont déjà trouvé leurs destinataires. « Nous travaillons par exemple avec la communauté de communes du Larzac-Lodévois sur le projet Eau et Biodiversité qui réunit des acteurs publics, des associations, dans le but de reboiser les bords de rivières ». Dès 2021, Ecosud, leur société, fournira potentiellement l’ensemble des plants qui seront utilisés. A Lodève même, ils sont aussi impliqués avec Paysarbre  dans le programme Hérault haie, destiné à permettre à des porteurs de projets, notamment des agriculteurs, de replanter des haies.

Ecosud a déjà séduit l’Arc Méditerranéen et compte bien étendre sa petite entreprise de relocalisation du végétal à la France entière. Fabien et Arnaud entrevoient aussi des débouchés qu’ils n’avaient pas envisagés. Beaucoup de brasseurs de bière les ont sollicités pour produire du houblon local, « il n’en existe presque plus alors qu’ici il est pourtant de qualité », dit Fabien. Des fabricants de plantes médicinales et aromatiques également les ont contactés. 

Pour cela, Ecosud a commencé à travailler avec des pépiniéristes indépendants, partants pour se lancer dans l’aventure du local. Après une première levée de fonds de 400 000 euros cette année, l’entreprise en prépare une prochaine « plus importante » pour 2021. Fabien et Arnaud sont confiants. L’époque leur sourit. A leur manière, ils sont, non pas des lanceurs d’alerte, mais des semeurs d’alerte : ils se battent contre la mondialisation à coup de semences et de boutures locales. Qui ne leur donnerait pas raison ? 

Et si l’avenir leur sourit comme il devrait, qui sait, peut-être que dans 10 ans ou 20 ans, on viendra de loin, chercheurs, militants écologistes, scientifiques, pour étudier la biodiversité de Lodève, constater combien ses variétés de végétaux millénaires, adaptées, résilientes, ont su mieux résister aux changements climatiques, favoriser la reproduction des espèces animales et végétales, permettre, qui sait, de produire un miel lodévois recherché pour ses qualités gustatives exceptionnelles. Qui sait ?

 

Nadya Charvet

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