Interview

Questions à René Frégni

Invité à la librairie un point un trait, le 8 novembre 2022

©Francesca Mantovani

C le Mag : Cancre dès le CP, certainement pour refus de port de lunettes, vous avez évité le brevet et travaillé d’arrache-pied pour finir l’année scolaire en février ! Qu’est ce qui vous a éloigné de l’école ?

René Frégni : J’étais le seul à porter des lunettes dans cette classe de CP, les minots m’appelaient “quatre œil”, riaient. J’ai jeté mes lunettes et c’était comme si je jetais l’école, je l’ai prise en horreur. Je suis devenu menteur, voleur, rôdeur… Je n’étais bien que dans la rue, libre, seul, aux aguets, rêveur.

ClM. : Vous venez de publier “Minuit dans la ville des songes” loin d’être simplement votre biographie, ce roman est un voyage au pays de la liberté, celle qu’apporte la lecture, comme celle que permet l’adolescence… D’où vous vient cet esprit de liberté ?

R.F. : J’ai été un enfant rebelle, révolté, solitaire. Je suis arrivé très en retard à l’armée. Déserteur ! On m’a condamné à six mois de prison militaire. Ma révolte s’est accrue, j’étais prêt à tirer sur un colonel, un général, un ministre. Dans ma cellule j’ai ouvert le premier livre de ma vie. J’ai compris que je serais plus fort avec des mots. Je me suis évadé durant toute ma vie en lisant, je me suis défendu durant toute ma vie en écrivant. La culture lentement a écarté ce qui aurait pu devenir de la haine.

ClM. : Votre jeunesse, vous la racontez comme un roman épique, êtes-vous un révolté ordinaire qui devient le héros de sa vie ?

R.F. : Il n’y a pas de révolte noble ou ordinaire, on ne choisit pas la révolte, c’est une réaction, un geste de survie, la manifestation de la vie. La révolte m’a sauvé.

ClM. : Vous avez découvert le monde à une époque où il n’était même pas nécessaire de traverser la rue pour décrocher un petit boulot, pousser une porte suffisait. D’où vient l’idée d’un passé plus facile, alors que la prison attendait celui qui avait une semaine de retard à son service militaire ?

R.F. : La discipline était partout avant mai 68, dans les écoles, les familles, au travail, à l’armée. Fils d’ouvrier, on allait travailler comme son père sans se poser de questions. Il y avait du travail partout. Mai 68 nous a ouvert les yeux, certains naissaient dans la soie, d’autres dans la poussière de charbon. J’ai commencé par déchirer la soie et refuser la poussière de charbon. Ceux qui organisent cette injustice ont des mots, il faut les leur prendre.

ClM. : Entre “Les chemins noirs”, et “Minuit dans la ville des songes”. Que peut dire, à la jeunesse d’aujourd’hui, celle des années 60-70 ?

R.F. : Ma génération n’a aucune leçon à donner aux suivantes, nous avons tenté de combattre l’injustice sociale, nous n’y sommes pas vraiment parvenus. C’est sans doute pire aujourd’hui. Nous avons jadis surestimé la générosité des hommes, leur capacité à partager… Nous sommes une espèce très individualiste, égoïste, souvent cruelle. Nous avons commencé à le payer, nous le paierons très cher. La planète et le climat sont entrés dans une ère de paisible révolte. Nous comprenons tout de suite ou nous disparaissons !

ClM. : Vous dites dans votre roman que Marx avait tenté de soigner la société, Freud les individus et vous ? Est-ce le corps en tant qu’infirmier et l’esprit en tant qu’écrivain ?

R.F. : Infirmier, je tentais de comprendre les mystères et les contorsions de la folie. Écrivain, j’organise le chaos de mes émotions. Si mes romans peuvent alléger la souffrance de quelques uns, permettre à d’autres de s’évader de prisons réelles ou imaginaires… chaque jour je me soigne en lisant, en écrivant, de cette grande peur de mourir.

ClM. :Les mots emportent-ils autant que les rêves révolutionnaires d’un Che Guevara ?

R.F. : Le visage du Che claquait comme ma révolte dans cette prison militaire. Les mots m’ont apporté la douceur, la tolérance et souvent les armes d’un combat.

ClM. : Vous vous êtes construit à travers les mots des autres, avançant à tâtons dans un monde incertain, c’est quoi pour vous être écrivain si le lecteur que vous êtes est “un vagabond de mots dans un voyage de songes (p. 150)” ?

R.F. : Dans chaque mot il y a un monde. J’ouvre mon cahier et je pars en voyage. J’ai fait du stop sur toutes les routes d’Europe, du Moyen-Orient. La nuit lorsque je ne dors pas, je reste dans le noir, j’écris sous mes paupières, dans des forêts et des villes de songes. Les mots vous emmènent plus loin que les trains et vous ne rencontrez jamais de frontières.

ClM. : Votre roman est un hymne à la lecture, au plaisir de lire, que l’on retrouve à chaque page, dans chaque mot de “Minuit dans la ville des songes”. Quelle est la prochaine aventure que vous partagerez avec nous ?

R.F. : Puisqu’il n’y a pas de frontières entre les mots, il n’y en a pas entre les livres, j’écris le même livre depuis que j’ai écrit un premier mot. Ce n’est pas le livre de ma vie, ni d’une vie que je m’invente, c’est le récit sans fin des émotions qui ont façonné l’homme que je crois être et qui est aussi un arbre, une rivière, un caillou, un nuage, un chat.

René Frégni sera présent le 8 novembre à la librairie un point un trait (Lodève) et le 8 décembre à la Cave l’Estabel (Cabrières).

Stephan Pahl

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