Interview

Questions à Sophie Hénaff

© Samuel Kirszenbaum

C le Mag : Drame de pique, le 4e tome de la série de nos flics préférés mis au placard vient de paraître aux éditions Albin Michel. Loin d’être en voie d’extinction, ils repartent pour une enquête, où ils risquent la réhabilitation.
Vous posez un dilemme à vos fauteurs de trouble ?

Sophie Hénaff : Oui ils sont partagés en fait. Capestan, elle, tient plus que tout à travailler, enquêter, Lebreton aussi. Mais ils savent qu’en cas de réussite, ils devront intégrer le Bastion, le siège de la PJ et quitter leur appartement douillet.

ClM : Capestan, Rosière, Lebreton,Torrez, Merlot, Dax, Lewitz, Orsini, Saint Lô, Diament, cela fait beaucoup de personnages, comment est née cette équipe de bras cassés ?

S.H. : Elle est née d’abord d’un seul personnage : Torrez, le porte poisse. J’ai pensé qu’un tel flic on le mettrait sûrement dans une brigade à part. Et comme j’adore les romans d’équipe, de copains, l’idée d’une brigade entière constituée de rejetés m’est venue naturellement.

ClM : La mayonnaise prend, on les aime, on y croit, ça fonctionne, chacun semble plus vrai que nature… comment arrivez-vous à gérer vos personnages ?

S.H. : Je les aime, j’y crois, ils m’intéressent, leur vie m’intéresse. Et surtout, je les prends au premier degré, même les plus fous, je ne m’en moque jamais, je suis de leur côté. Et j’ai envie que ce soit pareil pour les lecteurs.

ClM : Certains existent-ils vraiment… ou presque ?

S.H. : Non. Je me suis vaguement inspirée de la trajectoire d’Olivier Marchal pour le personnage de Rosière, la romancière scénariste millionnaire. Mais sinon, je les ai inventés. À mon avis, on doit cependant en trouver quelques-uns dans les commissariats !

ClM : Après Voix d’extinction, vous partagez à nouveau une enquête du commissaire Anne Capestan et de son équipe. Qu’est-ce qui a relancé votre envie d’une nouvelle enquête ?

S.H. : Une idée : l’intrigue avec le serial killer et les seringues… Elle allait très bien pour une équipe comme celle des Poulets, c’est-à-dire imprévisible et déstabilisante pour un tueur qui voudrait jouer avec leur intelligence.

ClM : Vous situez la création de la section “poulets grillés” dans Drame de pique en 2012 soit 3 ans avant la parution du roman Poulet grillés, est-ce le temps de la création ? Est-ce une façon de mêler fiction et réalité ?

S.H. : En fait j’ai tout simplement écrit la première ligne des Poulets en 2012, décrivant cette année-là, il a été publié trois ans plus tard. L’enjeu cette fois avec Drame de pique, c’était de renouer avec notre époque et qu’on puisse lire cet épisode tout seul, sans référence aux précédents.

ClM : Cette série installe à chaque tome une véritable enquête avec une intrigue prenante, vous traitez l’enquête sérieusement dans une ambiance détendue et pleine d’humour. Comment construisez-vous l’intrigue ?

S.H. : Je suis extrêmement attentive à la structure, au suspense et au rythme. Je ne suis pas une lectrice très patiente donc je fais attention à ne pas ennuyer. Je la travaille beaucoup en amont, en m’assurant qu’il n’y a pas de temps morts.

ClM : Anne Capestan atteint “un âge où l’on commence à faire le deuil d’un paquet de vies”, (p. 17). 40 ans, est-ce si vieux ?

S.H. : Elle en a 47 dans Drame de pique et non ce n’est pas vieux du tout, mais c’est un moment dans la vie où la plupart des choix sont déjà faits : enfants, métier… Évidemment que tout peut encore changer ou évoluer, mais certaines options ne sont plus accessibles  : on n’entreprend ni des études de médecine, ni une carrière de footballeuse à cet âge-là.

ClM : À travers votre roman, vous glissez des piques ou remarques sur notre société, sur les tests ADN, ou celle de l’information sans ordinateur. Est-ce une façon d’alerter le lecteur ?

S.H. : Non, pas d’alerte, je me garde bien de faire la morale à quiconque car je déteste qu’on me fasse la leçon. En revanche, je me fais des réflexions, comme tout le monde, et surtout mes personnages se font des réflexions, alors ils les partagent.

“Absolument, je suis pour les solutions les plus simples ! Mais bien planquées dans l’intrigue 🙂 ”

ClM : Vous glissez des références sur l’actualité, comme celle du Bataclan lors de la rencontre avec Sylvie, la flic fracassée, logeant à l’ANAS Le Courbat, est-ce une forme d’hommage ?

S.H. : Un hommage oui, une pensée en tout cas.

ClM : Vous dites “peser le plausible, éliminer le fantasque et conserver le probable” (p. 247) est-ce votre déclinaison du “rasoir d’Ockham” ?

S.H. : Absolument, je suis pour les solutions les plus simples ! (Mais bien planquées dans l’intrigue :))

ClM : Parlez-nous musique puisque vous citez, Biolay, Imagine Dragons, Patrick Sébastien, Martin Solveig, on imagine vos préférences d’après la scène. Quelle est la musique qui accompagne votre écriture ou est-ce le silence qui vous convient le mieux pour écrire ?

S.H. : Les références musicales en question sont celles du personnage, pas forcément les miennes ! J’évite la musique quand j’écris car je suis une véritable éponge et les chansons me transmettent aussitôt leurs émotions qui ne s’accorderont pas forcément au chapitre que j’écris. Je préfère donc rester dans le silence et créer mon humeur, celle du roman.

ClM : Il y a un certain nombre de formulations qui marquent votre style, un humour qui traverse votre écriture, (par exemple en parlant du chien de Rosière “qui s’arrête plus souvent qu’un vélo de facteur”) Comment se travaillent ces tournures ?

S.H. : Je ne les travaille pas spécialement, elles viennent spontanément à l’écriture.

ClM : Poulets grillés, Rester groupés, Arts et décès, Drame de pique… comment travaillez-vous ces titres qui annoncent parfaitement la couleur ?

S.H. : En général, ce n’est pas moi qui trouve mes titres mais ma famille ou mes amis. En fait, je n’aime pas les jeux de mots, un comble.

ClM : L’humour est votre marque de fabrique qu’on retrouve dans vos chroniques du journal Cosmopolitan ; ou encore avec une troupe de café théâtre. Vous avez même monté un bar à jeux de cartes, pour vous, l’humour et le jeu sont-ils indissociables ?

S.H. : Totalement indissociables en effet. Et indispensables à la vie, la mienne en tout cas.

ClM : Pour vous, jusqu’où l’écriture est-elle un jeu ?

S.H. : On manipule des idées, des concepts, et on essaie d’atteindre la case d’arrivée en bon état.

ClM : L’humour est un jeu qui demande beaucoup de travail, arrivez-vous à trouver ça drôle ?

S.H. : Heureusement oui ! Toujours !

ROMAN : 384 pages
Éditeur : Albin Michel
Parution : avril 2023
ISBN : 9782226475527

ClM : Un grand merci pour les réponses et nous aurons le plaisir d’échanger et de partager un moment privilégié lors de votre venue au festival un point un trait à Lodève le 9 septembre !

Stephan Pahl

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